lundi 7 janvier 2013

A propos du livre "La Commune démystifiée"

Un livre intitulé La Commune démystifiée est sorti il y a quelques mois chez l'éditeur "France-Empire"...
Voilà les lettres et la réponse à la première, envoyés aux auteurs de ce livre, par un descendant de maçon de la Creuse et de fédéré de 1871.



Bonsoir


Je n' ai pas lu l'ouvrage paru sous le titre "la commune démystifiée", la présentation m'a suffit. Je suis consterné de voir que vos deux auteurs puissent considérer Thiers comme un libérateur de la France. Quand un envahisseur foule le sol du pays, on le combat et cela jusqu'à la mort. Acheter le départ de troupes étrangères, cela n'a rien de très glorieux. Au contraire. Ou alors est-ce peut-être la réaction de personnes qui ont des choses à perdre. Mes aïeux n'en avaient pas. Ils étaient tous maçons de la Creuse, émigrés à Paris pour travailler comme ouvriers du bâtiment et logés dans des garnis infects. Ils s'engagèrent dans la garde nationale de la Seine et pour défendre la patrie en danger, et oui, pour la justice sociale. Ils étaient de la classe ouvrière, eh oui, ils étaient de simples gardes nationaux fédérés, dont certains ont perdus la vie en étant fusillés, d'autres en étant arrêtés puis déportés. Je me sens donc offensé que vos auteurs pussent voir chez les miens des "petit-bourgeois" ou des "tribuns présomptueux".
Je me sens offensé que vos auteurs puissent affirmer que le massacre de 15 000, 20 000 ou 30 000 parisiens (selon les estimations, peu importe!) soit nécessaire à l’établissement d'une république parlementaire et bourgeoise.

J'ai l'honneur de demander réparation à vos deux auteurs pour l'insulte qui est faite à mes ancêtres. Je me tiens donc à leur disposition si ces messieurs sont prêts à assumer leurs écrits.

O. P.




Réponse sur La Commune démystifiée

Monsieur,

Il est toujours difficile de répondre à un lecteur qui n’a pas lu votre livre et qui prétend se faire un jugement sur la base d’un simple « prière d’insérer ».
Aussi, avant de vous répondre, je ne saurais trop vous suggérer de lire cet ouvrage, qui n’est pas très volumineux (250 pages), contrairement aux pavés couramment consacrés à la Commune de Paris.
Du moins auriez-vous dû prendre la peine de parcourir l’avant-propos où les deux auteurs expliquent pourquoi ils ont eu envie de « revisiter le mythe ».
Mais revenons à vos remarques.
Eh oui, ne vous en déplaise, Thiers fut bien le libérateur du territoire, en réussissant le double tour de force d’arracher un traité de paix à l’envahisseur prussien et en le faisant ratifier par la représentation nationale. Dans cette tâche surhumaine, il bénéficia de l’écrasant soutien du peuple français, comme l’atteste le succès de l’emprunt émis le 27 juin 1871 et couvert en quelque six heures à peine.
Mais il ne s’est pas contenté de libérer le territoire : il a mis fin à l’insurrection parisienne, qui menaçait gravement l’unité nationale - et, loin d’ordonner un massacre, il s’est, au contraire, employé à refréner l’ardeur vengeresse de ses généraux - ; il a réorganisé l’armée ; il a imposé la République – avant d’être écarté, non par « le peuple » qui l’idolâtrait ou par la gauche parlementaire, mais par la droite monarchiste…
La « légende noire » de Thiers ne repose sur aucune réalité historique.
Vos aïeux étaient certainement des hommes respectables. Ils faisaient partie de ce petit peuple de Paris, dont l’Empire, malgré une œuvre économique sociale importante, n’avait pu améliorer le sort. Mais, avant d’être les victimes d’une répression sanglante, ces pauvres gens furent égarés par – je cite le « prière d’insérer », que je ne renie pas – « un agglomérat majoritairement petit-bourgeois, de tribuns incompétents, prêts à tout pour instaurer une dictature s’appuyant sur le désordre, les pillages, les destructions ».
Vos ancêtres n’étaient certes ni des « petits-bourgeois », ni des « tribuns présomptueux ». C’étaient seulement de braves gens qui se sont laissé entraîner sur une voie sans issue par des chefs irresponsables, dont la plupart, au demeurant, échappèrent à la mort et à la répression, dont plusieurs même firent une honorable carrière parlementaire sous la IIIe République (Ranc, Cluseret, Edouard Vaillant).
Si vous aviez pris la peine de nous lire, vous auriez pu constater que nous reconnaissions la qualité de plusieurs chefs communards (Rossel, Varlin, Delescluze) et que nous soulignions les erreurs, les provocations, les maladresses des « Versaillais ».
Une dernière remarque : vous dites vous sentir offensé à l’idée que nous puissions soutenir que le massacre des communards ait été « nécessaire à l’établissement d'une république parlementaire et bourgeoise ». Mais, si vous aviez lu notre livre, vous auriez pu constater que nous n’avons rien écrit de tel.
En terminant, vous nous demandez « réparation » pour une soi-disant « insulte » à vos ancêtres. Sylvain Pivot, aujourd’hui disparu, et moi-même, nous nous sommes tenus très scrupuleusement à une attitude d’historiens, à la lumière d’un propos du grand Condorcet, selon qui la vérité « appartient à ceux qui la cherchent et non à ceux qui prétendent la détenir ».
Comme il n’y a pas eu d’insulte, il n’y aura donc pas de réparation.  
Croyez, Monsieur, à mes sentiments les plus cordiaux.

F. B.



Monsieur.

Je vous appelle « monsieur » et non « citoyen » (ce que vous êtes pourtant –malgré vous ?). Sans doute le terme « citoyen » vous offenserait. En effet, c’est une désignation qui à la fin du mois de mai 1871 pouvait vous envoyer contre un mur. Il n’en fallait pas moins. Bien trop souvent.
Passons.
Je ne saurais me résoudre à lire votre ouvrage. Lorsque je veux lire un point de vue réactionnaire sur la Commune de Paris, il me suffit de consulter mes volumes de Maxime Ducamp, Fonvielle, Ernest Daudet et bien d’autres, comme Marc-André Fabre, « éminent historien » qui a fait mettre au pilon des milliers de dossiers de conseil de guerre des archives de Vincennes. Car s’il y a démystification dans votre ouvrage, vous conviendrez que c’est une démystification « droitière » ou conservatrice ( je vous laisse le choix des mots). Je travaille également sur la Commune depuis longtemps avec mon ami. Nous ne sommes pas dupes. Nous sommes tout à fait conscients du mythe qui entoure la Commune et de ses multiples récupérations politiques. Si celle de quelques « nationalistes révolutionnaires » est insignifiante, celle des organisations post-staliniennes devenu social-démocrate comme le PCF et les « Amis de la Commune » nous écœure. Il n’y a pas un numéro de leur bulletin qui pérore sur « l’actualité brûlante de la Commune ». Non, nous ne sommes pas dupes. Dombrowski n’était pas un sans-papier. Louise Michel n’était pas une « indignée » tapant sur son djembé assise sur un trottoir. Dans nos recherches aux archives ou ailleurs, nous aimons à citer le témoignage d’Emile Maury, garde nationale rallié aux fédérés un peu par hasard, plus attentiste que révolutionnaire. Comme ça devait être le cas pour une majorité de gardes nationaux, même dans les quartiers populaires. Nous n’approuvons ni le point de vue marxiste sur la Commune (qui voit tout un peuple se levé d’un seul homme) que nous n’approuverons celui de certains nostalgiques des Tuileries (qui font des communalistes des pilleurs et des destructeurs). Si je vous dis tout ça, c’est parce que nous œuvrons nous même à une certaine démystification de la Commune. Mais une démystification qui n’ôte aucunement la pureté de l’idéal communaliste. A savoir, le patriotisme blessé et la justice sociale.
Non Monsieur, on ne peut glorifier un Thiers qui « libère » le sol national à coups de millions, par peur du « rouge » plus que par peur des prussiens. C’est là le point de vue des gens qui ont quelque chose à perdre. Rossel, que vous n’égratignez pas dans votre ouvrage à priori, citait l’exemple de l’Espagne. Celle de 1807-1808-1809, aux trois quarts envahis, sa capitale occupée, dont une partie même de ses soldats et de ses « élites » s’était rallié à Napoléon Ier. Un pays envahi, ça se défend jusqu’au bout. Le peuple de Paris en était conscient, autant que certains officiers (républicains ma foi), comme Krémer, Denfert Rochereau, ou Rossel. Ceux-là mettaient l’honneur de la patrie souillée au-dessus des craintes de certains notables, politiciens et affairistes de province. Il s’agit bien d’un anachronisme quand vous dites « le peuple » à propos de ceux qui adulaient Thiers. Car à l’époque on utilisait le mot peuple pour désigner la population des villes et en particulier celle de Paris. Pour la population des campagnes on se contentait de dire « les campagnes », «  les paysans ». De plus, dans les allocutions de l’assemblée de Versailles, ou dans les communiqués de Mac-Mahon ou de Thiers, il n’est jamais fait référence à une défense de la république contre la Commune de Paris comme vous semblez le dire. Il y a bien le « république française » au-dessus de l’affiche. Point. C’est dans le Paris « rouge », dans le Paris communaliste que l’on chantait « la Marseillaise », « le Chant du départ » ou « Mourir pour la patrie »(chant des Girondins) que l’on s’appelait citoyen et où l’on faisait sans cesse référence à la république. A Versailles ma foi, peut-être fredonnait-on « Vive Henri IV » ou « Partir pour la Syrie ». Mais tous ces symboles (la Marianne y compris) d’une république dont vous dites que Thiers est à l’origine, se retrouvait à Paris et non à Versailles. Je pourrais vous rappeler également ces doux mots du Figaro de l’époque qui clamait dans ses lignes que les républicains (en parlant des communeux bien sûr) n’étaient bon qu’à être fusiller, que c’était une race à exterminer. Je n’exagère rien.
La cassure (juin 48 l’ayant annoncé) se fait pendant la Commune. Je n’oublierais pas ces mots de Chaudey qui avant d’être fusillé sur l’ordre de Raoul Rigault lui dit « vous n’ignorez pas que je suis républicain ». Ce à quoi Rigault répondit « Oui républicains comme à Versailles ». Si Chaudey était certes innocent. Ce n’était pas lui mais un officier des mobiles bretons qui avait donné l’ordre de tirer au 22 janvier. Il était néanmoins de ces pseudos républicains ex proudhonien, qui aurait avait lui-même mis une barrière devenue infranchissable entre le républicanisme d’ordre bourgeois et le républicanisme sociale et révolutionnaire. Et Raoul Rigault, dont je doute que vous ne manquez pas de salir dans votre ouvrage comme « petit bourgeois » ou « tribuns incompétents ». Si cela peut s’appliquer à des personnes comme Pyat et consorts, car oui je sais qu’il y eut des gens de la pire espèce dans les élus de la Commune. Que dire de Raoul Rigault, c’était avant la Commune un partouzeur du Quartier Latin (il s’est retrouvé dans certaines de ses débauches avec Gambetta ou même un magistrat du barreau de Paris, pédéraste, information qui après chantage, lui a permis d’être libéré lors d’un de ses procès). C’était quelqu’un de très farceur (les mémoires de Maurice Dreyfous l’attestent, le pamphlet de Forni aussi, il le connaissait bien, ils étaient « bons camarades » au Quartier). Mais pardon, car au moment où Paris est investi, où les troupes versaillaises s’approchent, Rigault se pare de son uniforme (qu’il n’a jamais mis du temps de la Commune) contrairement à d’autres petits malins qui se sont pavanés pendant plusieurs semaines avant de brûler leurs effets à l’approche de la troupe. Raoul Rigault, bête noire des historiens conservateurs ou réactionnaires, refuse de laisser son logeur se faire fusiller à sa place alors qu’il aurait pu s’enfuir, se laisse capturer et répond crânement « Vive la Commune ! » au sous-officier des chasseurs à pied qui lui colle son revolver sur la tempe. Raoul Rigault et bien d’autres « petits bourgeois » et « tribuns incompétents » savaient mourir. Et bien mieux que certains officiers versaillais, piteux capitulards de Sedan ou de Metz. « Ils sont morts avec beaucoup de crânerie » a dit un observateur (versaillais) de l’époque. Bien sûr beaucoup se sont enfuis, mais même chez ceux qui se sont rendus. Ils savaient le sort qui les attendait. Certains ont déposé leurs armes, en sachant pertinemment qu’on allait les fusiller. Ils l’acceptaient, c’était fichu, encore foutu. Je parle du fédéré de base. Mais l’on peut ainsi expliquer les demi-suicide de Flourens, Delescluze, Varlin ou même Rigault. Peut-on insulter de la sorte des gens qui sont morts si bravement ? Excepté parmi les troupes de Clinchant, les troupes furent sans pitié. A lire les témoignages  de plusieurs volontaires de la Seine, unité servant dans le nord de Paris et composé pour la 1ere compagnie uniquement d’anciens officiers (livres de Hans, de Grandeffe etc…) on ne peut en douter. Bien des membres de cette unité, dont l’uniforme de garde mobile ressemblait beaucoup à l’accoutrement d’un fédéré, a failli se faire fusiller par des lignards ou des chasseurs avinés.
Quant à mes aïeux, ne vous en déplaise, ils n’avaient sûrement rien d’honorables à vos yeux. C’étaient des travailleurs du bâtiment, des ouvriers que leur rude besogne et l’insalubrité des logis dans lesquels on les jetait, a dû encourager  «l’égarement » dont vous parlez. Bien que leurs dossiers de police soient chargés de rixe de beuveries ou de vol, c’étaient des gens qui prenaient des cours le soir pour apprendre à lire. Les considérez-vous comme des brutes, incapables d’avoir pris eux-mêmes la décision de participer à « l’insurrection » communaliste ? Des abrutis, des moutons ? C’est là malgré ce que vous dites bel et bien une insulte qui s’ajoute à la première. La Creuse fut la troisième département, en proportion, après la Seine et l’Oise quant aux nombres d’habitants poursuivis pour faits d’insurrection pendant la Commune. La tradition « de gauche » dans ce département et dans ma famille est né de ces 76 jours de la Commune. J’entends par «  de gauche », les idées de progrès, de justice et d’égalité sociale qui leur ont tenus à cœur au point d’y risquer leur vie et pour certains de la perdre. Idées qu’ils m’ont transmises par la tradition et auquel je crois tout en honorant leur mémoire. C’est pour cela monsieur, qu’il ait temps pour vous d’assumer ce que vous écrivez et que je me tiens toujours à votre disposition. Sans cela je me verrais dans l’obligation de vous considérer comme un lâche en plus de voir en vous un diffamateur.

O. P.