Un livre intitulé La Commune démystifiée est sorti il y a quelques mois chez l'éditeur "France-Empire"...
Voilà les lettres et la réponse à la première, envoyés aux auteurs de ce livre, par un descendant de maçon de la Creuse et de fédéré de 1871.
Bonsoir
Je n' ai pas lu l'ouvrage paru sous le titre "la commune
démystifiée", la présentation m'a suffit. Je suis consterné de voir que
vos deux auteurs puissent considérer Thiers comme un libérateur de la France. Quand
un envahisseur foule le sol du pays, on le combat et cela jusqu'à la mort.
Acheter le départ de troupes étrangères, cela n'a rien de très glorieux. Au
contraire. Ou alors est-ce peut-être la réaction de personnes qui ont des
choses à perdre. Mes aïeux n'en avaient pas. Ils étaient tous maçons de la
Creuse, émigrés à Paris pour travailler comme ouvriers du bâtiment et logés
dans des garnis infects. Ils s'engagèrent dans la garde nationale de la Seine
et pour défendre la patrie en danger, et oui, pour la justice sociale. Ils
étaient de la classe ouvrière, eh oui, ils étaient de simples gardes nationaux
fédérés, dont certains ont perdus la vie en étant fusillés, d'autres en étant
arrêtés puis déportés. Je me sens donc offensé que vos auteurs pussent voir chez
les miens des "petit-bourgeois" ou des "tribuns
présomptueux".
Je me sens offensé que vos auteurs puissent affirmer que le massacre de
15 000, 20 000 ou 30 000 parisiens (selon les estimations, peu importe!) soit nécessaire
à l’établissement d'une république parlementaire et bourgeoise.
J'ai l'honneur de demander réparation à vos deux auteurs pour l'insulte
qui est faite à mes ancêtres. Je me tiens donc à leur disposition si ces
messieurs sont prêts à assumer leurs écrits.
O. P.
Réponse sur La Commune démystifiée
Monsieur,
Il est toujours difficile de
répondre à un lecteur qui n’a pas lu votre livre et qui prétend se faire un
jugement sur la base d’un simple « prière d’insérer ».
Aussi, avant de vous répondre, je
ne saurais trop vous suggérer de lire cet ouvrage, qui n’est pas très
volumineux (250 pages), contrairement aux pavés couramment consacrés à la
Commune de Paris.
Du moins auriez-vous dû prendre
la peine de parcourir l’avant-propos où les deux auteurs expliquent pourquoi
ils ont eu envie de « revisiter le mythe ».
Mais revenons à vos remarques.
Eh oui, ne vous en déplaise,
Thiers fut bien le libérateur du territoire, en réussissant le double tour de
force d’arracher un traité de paix à l’envahisseur prussien et en le faisant
ratifier par la représentation nationale. Dans cette tâche surhumaine, il
bénéficia de l’écrasant soutien du peuple français, comme l’atteste le succès
de l’emprunt émis le 27 juin 1871 et couvert en quelque six heures à peine.
Mais il ne s’est pas contenté de
libérer le territoire : il a mis fin à l’insurrection parisienne, qui
menaçait gravement l’unité nationale - et, loin d’ordonner un massacre, il
s’est, au contraire, employé à refréner l’ardeur vengeresse de ses généraux - ;
il a réorganisé l’armée ; il a imposé la République – avant d’être écarté,
non par « le peuple » qui l’idolâtrait ou par la gauche
parlementaire, mais par la droite monarchiste…
La « légende noire » de
Thiers ne repose sur aucune réalité historique.
Vos aïeux étaient certainement
des hommes respectables. Ils faisaient partie de ce petit peuple de Paris, dont
l’Empire, malgré une œuvre économique sociale importante, n’avait pu améliorer le
sort. Mais, avant d’être les victimes d’une répression sanglante, ces pauvres
gens furent égarés par – je cite le « prière d’insérer », que je ne
renie pas – « un agglomérat majoritairement petit-bourgeois, de tribuns
incompétents, prêts à tout pour instaurer une dictature s’appuyant sur le
désordre, les pillages, les destructions ».
Vos ancêtres n’étaient certes ni
des « petits-bourgeois », ni des « tribuns présomptueux ».
C’étaient seulement de braves gens qui se sont laissé entraîner sur une voie
sans issue par des chefs irresponsables, dont la plupart, au demeurant,
échappèrent à la mort et à la répression, dont plusieurs même firent une
honorable carrière parlementaire sous la IIIe République (Ranc,
Cluseret, Edouard Vaillant).
Si vous aviez pris la peine de
nous lire, vous auriez pu constater que nous reconnaissions la qualité de plusieurs
chefs communards (Rossel, Varlin, Delescluze) et que nous soulignions les
erreurs, les provocations, les maladresses des « Versaillais ».
Une dernière remarque : vous
dites vous sentir offensé à l’idée que nous puissions soutenir que le massacre
des communards ait été « nécessaire à l’établissement d'une république
parlementaire et bourgeoise ». Mais, si vous aviez lu notre livre, vous
auriez pu constater que nous n’avons rien écrit de tel.
En terminant, vous nous demandez
« réparation » pour une soi-disant « insulte » à vos
ancêtres. Sylvain Pivot, aujourd’hui disparu, et moi-même, nous nous sommes
tenus très scrupuleusement à une attitude d’historiens, à la lumière d’un
propos du grand Condorcet, selon qui la vérité « appartient à ceux qui la
cherchent et non à ceux qui prétendent la détenir ».
Comme il n’y a pas eu d’insulte,
il n’y aura donc pas de réparation.
Croyez, Monsieur, à mes
sentiments les plus cordiaux.
F. B.
Monsieur.
Je vous appelle « monsieur » et non
« citoyen » (ce que vous êtes pourtant –malgré vous ?). Sans
doute le terme « citoyen » vous offenserait. En effet, c’est une
désignation qui à la fin du mois de mai 1871 pouvait vous envoyer contre un
mur. Il n’en fallait pas moins. Bien trop souvent.
Passons.
Je ne saurais me résoudre à lire votre ouvrage.
Lorsque je veux lire un point de vue réactionnaire sur la Commune de Paris, il
me suffit de consulter mes volumes de Maxime Ducamp, Fonvielle, Ernest Daudet
et bien d’autres, comme Marc-André Fabre, « éminent historien » qui a
fait mettre au pilon des milliers de dossiers de conseil de guerre des archives
de Vincennes. Car s’il y a démystification dans votre ouvrage, vous conviendrez
que c’est une démystification « droitière » ou conservatrice ( je
vous laisse le choix des mots). Je travaille également sur la Commune depuis
longtemps avec mon ami. Nous ne sommes pas dupes. Nous sommes
tout à fait conscients du mythe qui entoure la Commune et de ses multiples
récupérations politiques. Si celle de quelques « nationalistes
révolutionnaires » est insignifiante, celle des organisations
post-staliniennes devenu social-démocrate comme le PCF et les « Amis de la
Commune » nous écœure. Il n’y a pas un numéro de leur bulletin qui pérore
sur « l’actualité brûlante de la Commune ». Non, nous ne sommes pas
dupes. Dombrowski n’était pas un sans-papier. Louise Michel n’était pas une
« indignée » tapant sur son djembé assise sur un trottoir. Dans nos
recherches aux archives ou ailleurs, nous aimons à citer le témoignage d’Emile
Maury, garde nationale rallié aux fédérés un peu par hasard, plus attentiste
que révolutionnaire. Comme ça devait être le cas pour une majorité de gardes
nationaux, même dans les quartiers populaires. Nous n’approuvons ni le point de
vue marxiste sur la Commune (qui voit tout un peuple se levé d’un seul homme)
que nous n’approuverons celui de certains nostalgiques des Tuileries (qui font
des communalistes des pilleurs et des destructeurs). Si je vous dis tout ça,
c’est parce que nous œuvrons nous même à une certaine démystification de la
Commune. Mais une démystification qui n’ôte aucunement la pureté de l’idéal
communaliste. A savoir, le patriotisme blessé et la justice sociale.
Non Monsieur, on ne peut glorifier un Thiers qui
« libère » le sol national à coups de millions, par peur du
« rouge » plus que par peur des prussiens. C’est là le point de vue
des gens qui ont quelque chose à perdre. Rossel, que vous n’égratignez pas dans
votre ouvrage à priori, citait l’exemple de l’Espagne. Celle de 1807-1808-1809,
aux trois quarts envahis, sa capitale occupée, dont une partie même de ses
soldats et de ses « élites » s’était rallié à Napoléon Ier. Un pays
envahi, ça se défend jusqu’au bout. Le peuple de Paris en était conscient,
autant que certains officiers (républicains ma foi), comme Krémer, Denfert
Rochereau, ou Rossel. Ceux-là mettaient l’honneur de la patrie souillée
au-dessus des craintes de certains notables, politiciens et affairistes de
province. Il s’agit bien d’un anachronisme quand vous dites « le
peuple » à propos de ceux qui adulaient Thiers. Car à l’époque on utilisait
le mot peuple pour désigner la population des villes et en particulier celle de
Paris. Pour la population des campagnes on se contentait de dire « les
campagnes », « les paysans ». De plus, dans les allocutions de
l’assemblée de Versailles, ou dans les communiqués de Mac-Mahon ou de Thiers,
il n’est jamais fait référence à une défense de la république contre la Commune
de Paris comme vous semblez le dire. Il y a bien le « république
française » au-dessus de l’affiche. Point. C’est dans le Paris
« rouge », dans le Paris communaliste que l’on chantait « la
Marseillaise », « le Chant du départ » ou « Mourir pour la
patrie »(chant des Girondins) que l’on s’appelait citoyen et où l’on
faisait sans cesse référence à la république. A Versailles ma foi, peut-être
fredonnait-on « Vive Henri IV » ou « Partir pour la
Syrie ». Mais tous ces symboles (la Marianne y compris) d’une république
dont vous dites que Thiers est à l’origine, se retrouvait à Paris et non à
Versailles. Je pourrais vous rappeler également ces doux mots du Figaro de
l’époque qui clamait dans ses lignes que les républicains (en parlant des
communeux bien sûr) n’étaient bon qu’à être fusiller, que c’était une race à
exterminer. Je n’exagère rien.
La cassure (juin 48 l’ayant annoncé) se fait
pendant la Commune. Je n’oublierais pas ces mots de Chaudey qui avant d’être
fusillé sur l’ordre de Raoul Rigault lui dit « vous n’ignorez pas que je
suis républicain ». Ce à quoi Rigault répondit « Oui républicains
comme à Versailles ». Si Chaudey était certes innocent. Ce n’était pas lui
mais un officier des mobiles bretons qui avait donné l’ordre de tirer au 22
janvier. Il était néanmoins de ces pseudos républicains ex proudhonien, qui
aurait avait lui-même mis une barrière devenue infranchissable entre le républicanisme
d’ordre bourgeois et le républicanisme sociale et révolutionnaire. Et Raoul
Rigault, dont je doute que vous ne manquez pas de salir dans votre ouvrage
comme « petit bourgeois » ou « tribuns incompétents ». Si
cela peut s’appliquer à des personnes comme Pyat et consorts, car oui je sais
qu’il y eut des gens de la pire espèce dans les élus de la Commune. Que dire de
Raoul Rigault, c’était avant la Commune un partouzeur du Quartier Latin (il
s’est retrouvé dans certaines de ses débauches avec Gambetta ou même un
magistrat du barreau de Paris, pédéraste, information qui après chantage, lui a
permis d’être libéré lors d’un de ses procès). C’était quelqu’un de très
farceur (les mémoires de Maurice Dreyfous l’attestent, le pamphlet de Forni
aussi, il le connaissait bien, ils étaient « bons camarades » au
Quartier). Mais pardon, car au moment où Paris est investi, où les troupes
versaillaises s’approchent, Rigault se pare de son uniforme (qu’il n’a jamais
mis du temps de la Commune) contrairement à d’autres petits malins qui se sont
pavanés pendant plusieurs semaines avant de brûler leurs effets à l’approche de
la troupe. Raoul Rigault, bête noire des historiens conservateurs ou
réactionnaires, refuse de laisser son logeur se faire fusiller à sa place alors
qu’il aurait pu s’enfuir, se laisse capturer et répond crânement « Vive la
Commune ! » au sous-officier des chasseurs à pied qui lui colle son
revolver sur la tempe. Raoul Rigault et bien d’autres « petits
bourgeois » et « tribuns incompétents » savaient mourir. Et bien
mieux que certains officiers versaillais, piteux capitulards de Sedan ou de
Metz. « Ils sont morts avec beaucoup de crânerie » a dit un
observateur (versaillais) de l’époque. Bien sûr beaucoup se sont enfuis, mais
même chez ceux qui se sont rendus. Ils savaient le sort qui les attendait.
Certains ont déposé leurs armes, en sachant pertinemment qu’on allait les
fusiller. Ils l’acceptaient, c’était fichu, encore foutu. Je parle du fédéré de
base. Mais l’on peut ainsi expliquer les demi-suicide de Flourens, Delescluze,
Varlin ou même Rigault. Peut-on insulter de la sorte des gens qui sont morts si
bravement ? Excepté parmi les troupes de Clinchant, les troupes furent
sans pitié. A lire les témoignages de
plusieurs volontaires de la Seine, unité servant dans le nord de Paris et
composé pour la 1ere compagnie uniquement d’anciens officiers (livres de Hans,
de Grandeffe etc…) on ne peut en douter. Bien des membres de cette unité, dont
l’uniforme de garde mobile ressemblait beaucoup à l’accoutrement d’un fédéré, a
failli se faire fusiller par des lignards ou des chasseurs avinés.
Quant à mes aïeux, ne vous en déplaise, ils
n’avaient sûrement rien d’honorables à vos yeux. C’étaient des travailleurs du
bâtiment, des ouvriers que leur rude besogne et l’insalubrité des logis dans
lesquels on les jetait, a dû encourager
«l’égarement » dont vous parlez. Bien que leurs dossiers de police
soient chargés de rixe de beuveries ou de vol, c’étaient des gens qui prenaient
des cours le soir pour apprendre à lire. Les considérez-vous comme des brutes,
incapables d’avoir pris eux-mêmes la décision de participer à
« l’insurrection » communaliste ? Des abrutis, des
moutons ? C’est là malgré ce que vous dites bel et bien une insulte qui
s’ajoute à la première. La Creuse fut la troisième département, en proportion,
après la Seine et l’Oise quant aux nombres d’habitants poursuivis pour faits
d’insurrection pendant la Commune. La tradition « de gauche » dans ce
département et dans ma famille est né de ces 76 jours de la Commune. J’entends
par « de gauche », les idées de progrès, de justice et d’égalité
sociale qui leur ont tenus à cœur au point d’y risquer leur vie et pour
certains de la perdre. Idées qu’ils m’ont transmises par la tradition et auquel
je crois tout en honorant leur mémoire. C’est pour cela monsieur, qu’il ait
temps pour vous d’assumer ce que vous écrivez et que je me tiens toujours à
votre disposition. Sans cela je me verrais dans l’obligation de vous considérer
comme un lâche en plus de voir en vous un diffamateur.
O. P.